Boulangerie BO – Olivier Haustraete : « Le Japon est une partie de mon ADN »

Personnage atypique, pâtissier anticonformiste, Olivier Haustraete excelle aujourd’hui à la Boulangerie Bo, dans le 12e arrondissement de Paris. Son travail aux influences nippones et dépourvu de toute logique commerciale, tranche aujourd’hui dans le milieu. Entre deux fournées, il m’a accordé de son temps pour revenir sur son parcours, sa vision du métier et sa façon de travailler. Rencontre avec un homme simple et nature.

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FOCUS SUR LE CHEF

Pour commencer, quel a été votre parcours pour accéder au métier ?
J’ai un parcours somme toute classique : un CAP chez les Compagnons en pâtisserie, puis une mention complémentaire chez Stohrer. Puis deux années en BTM (Brevet Technique des Métiers) avec une partie technologie et pratique, avant La Grande Épicerie de Paris en compagnie de Nicolas Boussin.

Puis l’étranger ?
Ensuite, je suis parti deux ans à Tokyo. J’ai participé à l’ouverture d’une chocolaterie d’un Meilleur Ouvrier de Belgique à Tokyo. Puis j’ai fait un mois à la pâtisserie « Paris s’éveille » (qui a aussi Le Chant du coq à Versailles).
Par la suite, je suis parti deux ans en Australie, dans un club privé, un bistrot et un magasin.

Comment s’est passé votre retour en France ?
Je suis revenu en 2008. J’ai eu quelques galères. J’ai repris des contacts comme tout le monde pour retrouver du travail, et un poste s’est libéré dans l’agroalimentaire. C’était de la recherche et du développement de produits ainsi que du sourcing de matières premières. C’était un univers complètement différent.

Cela n’a pas été trop dur d’abandonner la pâtisserie ?
J’avais honte au début, mais je me suis adapté. Ça donne une autre vision, c’est rigolo. J’ai vu ce qu’était un abattoir, une ligne de macarons comme chez Paul, par exemple. C’est à voir. Tous les six mois on avait à peu près 600 produits à développer par personne, et seulement 100 étaient développés au final. On était pressés comme des citrons. Au bout de trois ans, l’énergie n’y était plus.

Je ne me voyais pas ouvrir une pâtisserie sans avoir la logique du boulanger.

Et ensuite vous avez retrouvé ?
Je me suis arrêté un an pour m’occuper de ma fille. Puis j’ai fait 3-4 mois d’apprentissage en boulangerie. Parce que même si j’avais le backup, je ne me voyais pas ouvrir une pâtisserie sans avoir la logique du boulanger. On a des mouvements différents. On ne pense pas pareil. C’est la même famille mais ce n’est pas la même chose. Je voulais apprendre la fermentation type du boulanger.
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LA BOUTIQUE

Et ensuite l’ouverture de BO* ?
On a rencontré les gens qui ont mis l’argent sur la table. Avec Benoit (Gindre), on s’est trouvés. Il apporte son savoir-faire. On a fait le plus dur la première année. Lui bosse beaucoup en externe, il est là quand j’ai besoin de lui, il fait la comptabilité, la RH, il fait la « merde ». Moi je m’occupe du reste : la gestion RH quotidienne, l’entretien, l’achat des matières premières, etc. On est vraiment chez nous ici, il y a personne d’autre derrière maintenant.

*BO est l’acronyme de Benoît et Olivier, les prénoms des deux amis-associés.

Le Mont Fuji, version 2016.
Crédit : Le Serial Patissteur

Vous disiez que ça avait été dur la première année ?
Au début, les vieux nous ont fait « des gros fuck ». On est arrivés derrière Michel Bazin en février 2014, il avait une grosse réputation sur le pain.
Les gens nous ont dit « Ce n’est pas comme avant ». Ben oui, mais on a changé les farines, on a changé de meunier (pas seulement un qui nous donnait un numéro). On travaille aussi avec un moulin, c’est plus sympa, il fait de belles farines. On a de belles matières premières, des produits authentiques.

On travaille en émulation, en équipe.

Vous êtes combien à travailler dans la boulangerie ?
Dans l’équipe, il y a quatre vendeuses, deux pâtissières avec moi, un tourier et deux boulangers. Les deux pâtissières savent ce dont j’ai envie. On travaille beaucoup tous ensemble. Il n’y a pas que moi. On communique beaucoup même en dehors du travail.
Par exemple en 2017, chacun aura sa bûche, enfin chacun aura développé sa bûche. C’est important, on travaille en émulation, en équipe. On arrive ensemble, on part ensemble. Mais on travaille au plaisir.
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LES PRODUITS

Comment concevez-vous le visuel d’un gâteau ?
On ne fait pas trop de chichis sur les gâteaux, on privilégie plus la matière première et le produit plutôt que de la feuille d’or par exemple. Mais bon c’est clair, quand on entre dans un endroit, il y a au moins deux secondes d’attention du client, il faut que ça attire l’œil. Donc il faut des produits intéressants.
De plus en plus, on travaille avec des produits en réduisant les colorants. A l’image du dôme jaune avec la chantilly marron, c’est juste un jus. On fait notre nappage nous-mêmes aussi.

Vous accordez une importance aux produits justement ?
On utilise de belles vanilles, on travaille avec le chocolat et praliné de chez Weiss, le marron avec Corsigliani, la farine de blé ancien Guichard, etc.
Et puis j’ai mon sourcing de produits japonais. Je fais appel au Nishikidori Market ou alors je source personnellement. Si je vois des trucs spécifiques, je prends. J’avais besoin de sucre d’Okinawa par exemple ; pour des raisons X/Y, je suis passé par ma belle-mère (au Japon), c’était plus simple.

L’Ayaka, mousse cream cheese, coulis de Shikuwasa, chantilly marron, speculoos.
Crédit : Boulangerie BO.

Et vous avez des ingrédients favoris ?
J’aime bien les produits comme le foin, les produits fumés, les sésames purs (les crèmes, pas les pates) : c’est un produit pur, de la finesse, un nectar. J’aime bien le Gyokuro (un thé vert japonais de très grande qualité), plus que le thé. Ou des produits qu’on ne trouve pas comme le Shikuwasa, une alternative au yuzu.
J’aime les sels aussi, comme celui de Nagasaki, un peu rose. A Okinawa, j’ai trouvé un vrai sel, comme une espèce de pétale, vraiment « chanmé ». Un sel iodé par les mers ou le sol.

Un bon gâteau, c’est un jeu de textures, des nuances de saveurs, de l’acidité.

Pour vous, qu’est-ce qu’un bon gâteau ?
Un jeu de textures, des nuances de saveurs, de l’acidité, de l’amertume. Moi j’aime bien les jeux de goûts. En architecture je parle bien sûr.
Après en goûts personnels, j’en fais moins ici que je n’ai pu en faire au début. On s’est fait aussi connaître par rapport à ces choses-là, mais on vend plus un gâteau praliné ou chocolat qu’un gâteau au thé vert. Je ne m’appelle pas Aoki (Sadaharu Aoki, célèbre maître-pâtissier japonais installé aussi à Paris). C’est une part de mon ADN d’avoir vécu au Japon, mais je ne suis pas japonais.
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LE CONCEPT

Le mot d’ordre, c’est le « cool » aussi, non ?
On est cool. Si la crème qu’on annonce deux jours avant sur les réseaux sociaux ne fonctionne pas, on l’enlève, tant pis, on ne se prend pas la tête. Je suis totalement décomplexé de ce côté-là.

Vous êtes en tout cas de plus en plus reconnu à Paris ?
Connu ? C’est un grand mot. Je ne sais pas. Bien sûr que lorsqu’on est médiatisé, c’est bien. J’ai vu mes potes d’Utopie passer à la télé, ça me fait plaisir pour eux. Je n’ai qu’une envie, c’est de leur emboiter le pas. Faire Très Très Bon (sur Paris Première), ça m’irait très bien. Faire des trucs simples, liés à la bouffe.
Le fait de faire des évènements, ça fait plaisir aussi, maintenant je les partage. Quand j’ai fait le Festival Omnivore (5 au 7 mars dernier), je voulais que mes pâtissières soient avec moi.

En tout cas, on vous connaît pour vos gâteaux éphémères…
L’esprit ici, c’est : tu reçois un produit, tu crées. Il n’y a pas de logique. Y’a des semaines où on est crevés et les choses ne sortent pas. On peut en faire une fois par semaine, le week-end, ou la semaine d’après. Avant on faisait un éphémère par week-end, maintenant un peu moins. Quand il n’y a plus le produit, il n’y en a plus… Il faut juste savoir expliquer les choses aux gens.

Tu reçois un produit, tu crées. C’est l’esprit ici.

Une de vos créations préférées ?
A un certain moment, tu fais des choses, tu trouves ça bien, et deux jours après tu trouves ça moins bien. Donc à retenir, je ne sais pas. Il y a toujours mieux.
Fin 2016, j’ai bien aimé faire le gâteau avec la mousse de café blanc, le biscuit chocolat sans farine, la fleur d’oranger et la cardamone. C’était quelque chose de différent, de sympa. Celui aussi à la mousse de marron, coulis de passion, mangue et mousse matcha. C’était sympa aussi en termes de goût et d’alliance de saveurs.
J’aime faire aussi les « Monts ». Cette année, il n’y aura que le Mont-Blanc et le Mont Azuki (il y en avait quatre l’année dernière).
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LE RAPPORT AU MÉTIER

Y’a-t-il des gens qui vous ont inspiré ?
C’est comme tout, on éduque le palais au gré des parcours et des personnes que l’on rencontre. Avec le patron de la chocolaterie Weiss, on échange pas mal sur les produits. Avec Claire Heitzler (aujourd’hui à la tête de la Maison Ladurée), j’ai appris pas mal de choses en un an et demi à ses côtés. C’était une rigueur différente, le côté féminin, une autre manière de travailler. D’autres rencontres aussi ont été très intéressantes mais pas forcément médiatisées.

Sur le plan personnel, vous vous entendez bien avec qui dans le métier ?
Je m’entends super bien avec les mecs de la Boulangerie Utopie (Erwan Blanche et Sébastien Bruno). On a les mêmes valeurs et on se connait très bien. J’ai passé six mois en Australie avec Erwan, ça fait dix ans qu’on se connait. Après je connais très bien Claire (Heitzler) aussi parce qu’on a bossé ensemble. Je m’entends bien avec Giovanni Passerini, Simone Tondo… Ce sont des gens qui travaillent le produit, la matière.

Le Grand Bassam, une des spécialités chocolatées du moment (un gâteau éphémère ?)
Crédit : Boulangerie BO.

Et des pâtissiers que vous appréciez ?
Dans le métier, j’apprécie Pierre Hermé évidemment. J’aime beaucoup ce qu’il fait : les alliances entre les textures et les produits.

Vous êtes bien chez BO ? Vous avez des envies dans le futur ?
Pas en ce moment. Après si possible oui, mais à l’étranger. Ca dépendra des opportunités, si y’a des sponsors qui veulent, etc.
Beaucoup vont trop vite dans le métier, mais c’est leur problème. Moi ce qui m’intéresse, ce sont les gens qui réussissent, et du coup me font rebondir. Les problèmes des uns et des autres, c’est bénin, il y a des choses plus graves. Il y a plus de gens qui crèvent la dalle que des problèmes de fèves par exemple.
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HORS PÂTISSERIE

Une table salée (plusieurs)
– Passerini (65 rue Traversière, Paris XIIe).
Giovanni, parce qu’il cuisine super bien.

– Amarante (4 rue Biscornet, Paris XIIe).
Amarante c’est vraiment le côté cuisine française avec la purée au lait cru, le mec fait venir ses carottes en colissimo, c’est incroyable.

– Tondo (29 rue de Cotte, Paris XIIe).
Simone Tondo, parce qu’il a une cuisine jeune innovante, c’est frais, il est un peu foufou.

– Le Servan (32 rue saint-Maur, Paris XIe).
– Septime (80 rue de Charonne, Paris XIe).
– Fulgurances (10 rue Alexandre Dumas, Paris XIe).
– 6036, Dining Izakaya (82 rue Jean-Pierre Timbaud, Paris Xie).

Je fais pas mal de restaurants en fait, j’aime les bonnes choses.

Des adresses sucrées ?
Pain de sucre, j’adore les alliances qu’ils font, j’aurais bien voulu travailler un jour avec eux.
J’aime bien ce que fait Benoit Castel. Et j’aime bien Max Papin le chef pâtissier de Liberté.
Pierre Hermé, un classique.
Utopie aussi. Ce que les mecs font, c’est cool. Je ne vais pas bien loin de chez moi en règle générale.
Et sinon pour le pain, à Gambetta, j’aime bien aller à la Gambette à pains.

Une autre passion
J’aime bien la « Street », tout ce qui y est lié, la pop culture, le graff, la musique. L’art contemporain et l’at primitif, même si ce sont deux opposés. Jaime beaucoup l’architecture, le graphisme et le design aussi. Beaucoup de choses peuvent m’inspirer
Et puis la musique. On bosse en musique déjà derrière. Chez moi si je croque un dessin, il y a des musiques qui m’entrainent. J’aime bien l’artisanat, les belles choses, comme une belle veste avec une belle matière première. Toujours de belles finitions.

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 Boulangerie BO, 85 bis rue de Charenton, Paris XIIe.

5 Commentaires

  1. Ahlala, s’est-ce qu’il a l’air cool comme chef 👍🏾
    Très bel article, il se lit tout seul.
    Bravo Xavier et rdv au prochain 😉

    1. Merci à toi. A très vite sur ton blog aussi 🙂

  2. Je viens de passer à la boulangerie Bo et j’ai eu la chance de tomber sur le chef ! Un coup de cœur pour la personne et ses créations ! Mais aussi toute son équipe cosmopolite ! Étant une grande fan du Japon je ne m’etais pas particulièrement intéressée à qui il y avait derrière Bo, j’avais juste vu passer son Mont Blanc Sakura qui m’a vendu du rêve, sur place bien sûr en plein Janvier ce Mont Blanc n’etait pas présent mais tout le reste m’a vendu encore plus de rêve surtout les quelques mots échangés avec Olivier Haustraete. Je suis partie avec un sac plein et même une tranche de pain fumé offert par la vendeuse. Je leur ai dit que j’etais sur le point de rentrer chez moi à Marseille, tellement j’ai discuté sur place avec eux et que j’ai mis du temps à choisir les produits que je suis montée dans mon train juste 3mn avant son départ ! 😱😅 Et là je tombe sur ton article et je me régale à en apprendre un peu plus sur ce personnage tellement atypique ! Quel bel article ! Merci à toi ! ✨

    1. Ah super c’est gentil 🙂 Oui j’adore le personnage, ce qu’il fait. D’ailleurs il faut ce qu’il veut. Son pain est excellent et ses gâteaux sont toujours originaux. J’ai pris le Mont Blanc (le tout simple) justement que je n’ai pas eu le temps de poster encore. C’est toujours abouti. Et puis le WE il se laisse aller à des créations (pain et gâteaux) avec des ingrédients asiatiques. C’est top 😊

  3. félicitations
    est ce votre père richard Haustraete qui vous a inculqué la passion de la patisserie ?

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