Nicolas Bernardé : « Pour moi, le cake est intemporel »

Crédit photo : Guillaume Czerw.

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Voyageur, touche à tout mais surtout bec sucré… autant de qualités qui ont permis à Nicolas Bernardé d’obtenir le tant convoité concours de Meilleur Ouvrier de France (MOF) en 2004. Depuis, il est devenu le « Pape des cakes » à La Garenne Colombes où il a ouvert sa boutique. Rencontre avec un chef généreux et créatif, qui a su redonner vie à nos gâteaux de l’enfance.

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PARCOURS DU CHEF
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Par où avez-vous commencé ?

Je suis fils de pâtissier-boulanger. J’ai bossé quatre ans chez Dalloyau (rentré à l’âge de 15 ans), j’ai vu travailler les MOF là-bas comme Jacques Bellanger. Ensuite, je suis parti bosser en Afrique au Gabon alors que je faisais l’armée. J’ai travaillé pour le Président Omar Bongo.

Puis je suis retourné en France au Prieuré (L’Hostellerie du Prieuré, Relais & Châteaux où il sera en charge des créations desserts). J’ai travaillé avec un MOF charcutier où j’ai beaucoup appris puis je suis allée au Ministère des Affaires étrangères (il sera chef pâtissier pendant trois ans). Avant d’aller au Cordon Bleu. Un parcours complètement atypique.
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Pâtissier mais pas que donc…

Je ne suis pas cuisinier, mais à chaque fois j’ai touché au salé. Le charcutier a une technique, et on peut la mettre au service de la pâtisserie. A chaque fois, j’ai appris des trucs, et c’est ca qui est génial.
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Le concours de MOF, difficile ?

C’est un concours très dur (il a obtenu en 2004, ndlr). Très dur à avoir, mais surtout très dur à « maintenir ». Si vous regardez, ce sont toujours les mêmes qui ressortent. C’est difficile de conserver son niveau.

Dans une pyramide, on atteint le sommet une fois. Il faut savoir redescendre mais pas top bas. Il faut rester dans le nombre d’or de la pyramide. On est près du sommet, on n’est pas trop bas, on est au centre. Dedans, il y avait la chambre du pharaon et le sarcophage. Ca sèche, mais ça. C’est une philosophie.
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LA BOUTIQUE
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Pourquoi La Garenne-Colombes?

Au départ, on devait ouvrir à Paris rue de la Chaussée d’Antin. La boutique avait une énorme cave, un labo de 100 m2, on pouvait faire énormément de choses. On devait signer un mercredi . Le mercredi matin, on a reçu un coup de téléphone du gars qui avait loupé son avion. Et dans la même journée, le propriétaire de la boutique à La Garennes Colombes – où j’avais fait une proposition – me rappelle. Il me demande si je suis toujours intéressé. Je lui dis « oui et non ». Oui parce que le lieu était bien et non parce que je devais signer à Paris. Puis dans l’après-midi, on s’est vus, on a discuté. Ca s’est fait comme ça.

Crédit photo : Nicolas Bernardé.

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Et ce n’est pas loin de Paris…

C’est un pied à terre a coté de Paris, c’est plus facile d’avoir des laboratoires en banlieue. On est arrivés, on était trois, maintenant on est 18. On a bien grandi.
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Aujourd’hui, vous vous sentez bien ici ? Pas déçu ?

On est bien ici même si ça a été plus compliqué les dernières années. Je vais vous raconter une anecdote : un ami au Danemark me disait qu’ils avaient vu un film avec des diapositives représentant chaque pays : le tramway de Lisbonne pour le Portugal, la Sagrada à Barcelone, la pizza et le scooter devant le Colisée pour l’Italie, le Corcovado au Brésil, etc. et en France on a une mauvaise image. On a une boutique exceptionnelle et j’habite à 15 minutes à pied.
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Vous n’avez pas eu peur d’ouvrir à La Garenne-Colombes ?

Je me rappelle au début, on m’avait dit : « Tu vas t’installer là, tu vas galérer ». Je ne citerai pas de nom, mais maintenant ça me fait sourire.
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Quelle est votre clientèle ?

On a une très bonne clientèle de la Garenne, assez aisée. Aussi de Nanterre qui a de beaux quartiers, Bois-Colombes, et une partie enfin qui vient de Neuilly.
Au début on vendait au bout de la rue, puis un peu plus loin et maintenant ça s’est bien étendu.

Crédit photo : Nicolas Bernardé.

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LE CONCEPT : LE CAKE
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Pourquoi le cake ?

Pour les cakes, c’est pareil. On fait des individuels de poche, des six personnes parce que même si vous n’êtes pas six, vous pourrez en manger plus tard. Le cake pour moi, c’est intemporel. C’est le matin, c’est le midi, c’est au goûter, c’est le soir. Ca peut aussi être servi avec de la glace vanille, avec des framboises fraiches.
Nous on travaille sur du « cakissime », parce que dans « cakisisme » il y a le mot cake et il y a le mot « kiss ». Nos gâteaux sont doux comme des baisers. On fait tout ici, on les transforme.
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Nos gâteaux sont doux comme des baisers

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Et ça vient tout cet amour pour le cake ?

J’ai eu la chance d’avoir une grand-mère cuisinière hors pair qui adorait les gâteaux. Elle faisait aussi des épices de dingue. J’ai toujours mangé des framboises des fraises, des légumes frais. L’hiver, il y avait tout son amour dans les armoires, des haricots, des escargots. J’ai été élevé comme ça et ma grand-mère transformait tous ses produits.
J’ai toujours mangé des cakes au citron, des gâteaux à l’ananas, des brioches des bugnes, c’était une cuisinière exceptionnelle. J’ai grandi dans l’excellence de la pâtisserie du gâteau, du sucré, elle faisait des tartes de dingue. C’est grâce à elle.
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Comment pensez-vous les cakes chaque semaine ?

Le cake de la semaine, on reste toujours dans l’idée des fruits du marché ou de la saison. La saisonnalité avant tout.
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Qui trouve les idées ?

Tout ce qui peut faire que l’équipe est motivée, c’est qu’on travaille ensemble sur la gamme des gâteaux. Pour les nouveaux cakes, tout le monde est concerné. Tout seul, je n’aurais pas assez d’idées. C’est toujours moi qui ai la décision finale mais tout le monde a son mot à dire du commis au chef de partie. Parfois il y a des idées farfelues, mais on les essaye. On se remet toujours en question.
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Le visuel est important ?

Je vois les choses différemment. Quand on est attiré par quelqu’un, on est attiré par sa beauté extérieure et ce qu’elle dégage. Mais ce n’est pas tout. Une fois vue la beauté extérieure, il faut voir dedans. Ca doit être bon quand on l’a coupé. La pâtisserie c’est comme une jolie fille ou un joli garçon. On essaye d’apporter l’excellence dans la beauté mais ce n‘est pas ce qui nous importe le plus. On essaye d’apporter l’excellence dans le goût. Je pense que le goût est ce qu’il y a de plus important.

Le cake chocolat, ganache chocolat. Crédit photo : XM.

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Est-ce que vous définiriez comme un précurseur ?

On a fait les cakes de poche. Ca y est, maintenant tout le monde en fait, c’est bien. Je me dis qu’on a de bonnes idées. On est aux Relais Desserts, au Club des sucrés. Comme j’ai dit, le MOF est difficile mais rester toujours en tête, avoir de nouvelles idées, c’est encore plus dur que le concours de MOF.
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Vous avez réussi à magnifier un gâteau d’enfance, familial…

On a remis une ancienne mode, le cake, au goût du jour. Il faut toujours avoir un temps d’avance.
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LES PRODUITS
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Comment choisissez-vous vos produits ?

Tous mes producteurs, je les connais. Mon huile d’olive vient d’Espagne, mais je suis en contact avec la coopérative. Je prends mes amandes à Valence. J’ai pris le pari de prendre des noisettes du Piémont parce que je les connais aussi. Elles sont différentes. Pour moi, la qualité des matières premières est indispensable.
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Je connais tous mes producteurs.
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Vous faîtes pas mal de tests aussi en labo ?

Là on est en train de faire des tests sur petits sablés noisette. Depuis un an je travaille avec la farine de noisettes du Moulin de la Veyssière, la farine est exceptionnelle. Ils sont passionnés en plus au Moulin.
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Vos fruits viennent d’où ?

On a une productrice qui nous livre des fraises, elles sont exceptionnelles. Ces fraises viennent de Poissy (Yvelines), c’est en région parisienne, un circuit court. On travaille avec elle aussi tout ce qui est pomme, poire, abricot. Les cerises aussi. On ne travaille que des produits frais.
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Donc en ce moment, c’est plutôt framboises, fraises… l’hiver, vous travaillez lesquels ?

L’hiver, on travaille tout ce qui est pomme, poire, ananas, fruits de la passion, mangue, coing. En France, on ne peut avoir d’ananas ou de fruits de la passion notamment, donc il faut les commander dans hémisphère sud, du coté de l’océan indien, la Papouasie Nouvelle-Guinée, au Brésil ou en Amérique du sud. Eux travaillent aussi bien en été qu’en hiver.
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Et les saisons des fruits sont courtes ?

Nous sommes le 6 juin (jour de l’interview), j’ai déjà vu les premières figues au marché, c’est beaucoup trop tôt. On n’a pas encore travaillé l’abricot que ca arrive déjà. Les figues, c’est septembre. On a des fruits qui devraient arriver dans trois mois qui arrivent maintenant. Même si je les ai vus au marché, on ne fera jamais de tarte aux figues maintenant. On verra ça au retour de vacances. Là on va travailler sur la tarte aux pêches, aux abricots, etc.

Le cake choco-noisettes / Crédit photo : XM.

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Vous utilisez quoi comme chocolat ?

On fait venir différents chocolats, différents grands crus et on travaille avec. On ne fait pas encore de « bean-to-bar », nous n’avons pas les machines pour. On achète du grand cru, du cacao pâte. Que des pures origines.

Surtout, on travaille avec des marques qui ne font pas travailler les enfants dans les plantations. J’ai deux petits bouchons de 10 et 12 ans et ça me ferait vraiment chier de les voir travailler dans les plantations de chocolat. Avec les gens qui me vendent les chocolats, il y a une charte de qualité, je ne veux pas que les enfants travaillent dans les plantations. C’est ma règle d’or. Je préfère que ce ne soit pas bio mais que les enfants ne travaillent pas dedans.
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Je ne veux pas que les enfants travaillent dans les plantations.
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LA PÂTISSERIE DU WEEK-END
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Pourquoi des gâteaux uniquement le samedi ?

Tous les gâteaux ici sont des gâteaux à partager, parce que je considère que c’est une hérésie d’acheter un petit gâteau. Vous êtes six et il y a six gâteaux, tout le monde se bat : ‘moi je veux si, moi je veux ça’ et au final on les coupe tous ? Ca fait un pâté, on a des miettes partout. Ca fait des frustrés. Et il n’y a plus d’harmonie à la dégustation. Si on boit du champagne, on boit tous le même ? C’est ma vision.
On est dans le partage, on fait un gâteau, les gens mangent la même chose, sinon on va au resto et chacun choisit ce qu’il veut. Pour moi, le partage va jusqu’au bout des choses. Ou alors on se fait plaisir et chacun choisit avant. Je ne devrais pas dire ca (rires).
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Du coup, cela créé de l’attente chaque samedi ?

Le samedi et le mercredi sont les plus belles journées à cause du marché. On a décidé de travailler comme cela, on se prépare en amont. Il y a des flans, des brioches, des tartes, etc.
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Vous faîtes des pâtisseries uniquement le samedi, mais également sur mesure ?

Oui, on a une gamme de base comme le millefeuille. On peut le faire au chocolat, à la vanille, aux fruits rouges. Ensuite on fait les Saint-Honoré à la framboise, à la vanille, au chocolat, au café ou aux agrumes quand c’est la saison. On a nos bases de crème, et ce sont les clients qui choisissent. On s’adapte.
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Avec mes gâteaux, on est dans le partage.

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Vous travaillez donc uniquement la saisonnalité ?

Comme on suit la saison, nos cakes et gâteaux suivent la saison.
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VOYAGES, INSPIRATIONS
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Vous avez beaucoup voyagé dans votre vie ?

J’ai bossé en Afrique, au Gabon pendant un an, j’ai vu des cacaotiers, du thé, j’ai bossé au Cordon bleu et ça m’a permis de faire deux fois le tour du monde, aller dans différents pays. J’adorais les voyages, jetais arrivé à un moment à faire 15 voyages internationaux dans l’année, tous les quinze jours on était barrés. Il fallait s’adapter à la culture, au langage.
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D’où viennent vos inspirations ?

Quand on a écrit le bouquin sur le cake (Invitation d’un pâtissier voyageur), on a voulu le lire de trois façons : avec les photos magnifiques ; avec les recettes (ça on en trouve partout, mais c‘est ce qui matche) ; et le petit encart qui raconte « d’où m’est venue l’idée de faire ce gâteau ». Par exemple, en Indonésie, il y a des kumquats, s’il y a du gingembre, je parle de l’endroit où j’en ai goûté. Pareil pour les petits beignets de banane et chocolat découverts à côté de Bali aussi.
En Papouasie Nouvelle-Guinée, j’ai goûté des gâteaux de riz cuits dans du jus de coco, dans des bambous, c’est quelque chose. Ca, je l’ai mis dans le livre. Tout ca est très enrichissant au niveau du gout.
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De l’étranger aussi ?

Faire travailler les gens en utilisant ce qu’on peut faire ailleurs est important (mercredi 7 juin, toute l’équipe recevait une glacière italienne pour les former aux glaces). Après, on applique ce qu’on appris avant. On fait déjà des cakes glacés depuis l’année dernière, mais l’année prochaine tout le monde en fera.

Le cake aux marrons / Crédit photo : XM.

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Qu’est-ce que ça vous a apporté ?

Maintenant, j’ai un truc : j’ai un odorat excellent. Une fois ça sentait la coco dans le labo, je le sens. Je me suis aperçu que quelqu’un avait mis un gel avec de la coco. (normalement les pâtissiers ne mettent pas de parfum dans le labo). Je ressens les odeurs.

Je vais vous raconter une anecdote. Un jour ma mère me présente me présente un monsieur qui fabriquait des parfums. Il parlait des fleurs, épices, et je ne comprenais pas comment il réussissait à se rappeler des noms des fleurs, comment il mettait une image avec un nom, etc. Il me dit : « Il faut imaginer une maison et dedans tu as différents tiroirs avec les différentes senteurs . Tu ouvres, tu as une odeur, et dans chaque il y a de sous-tiroirs. Dans la salle on met les senteurs épicées, fumées, dans la salle de bain, on met tout ce qui est frais. » Maintenant, je travaille comme ça et mon cerveau arrive à passer d’une pièce à une autre et me dit ‘ah oui, ça sent ça’.
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Et pourquoi le côté « épicerie salée » dans votre boutique ?

J’ai bossé en restaurant, chez un charcutier traiteur. J’ai appris a faire des pâtés, saucisses, etc. J’ai fait des carottes râpées en masse. Chacun se filait un coup de main.
Au Prieuré, il faisait des sels. J’ai appris là-bas donc maintenant je les transforme pour le mettre en boutique. Tout ce que j’ai ici, c’est toute mon histoire.
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Crédit photo : Guillaume Czerw.

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Nicolas Bernardé obtient le titre de Meilleur chef du monde en 2005 au World Gourmet Summit de Singapour. Il est aussi membre du Club des sucrés.
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