Benoît Castel : « Je veux une pâtisserie qui soit simple, qui me ressemble »

Crédit photo de Une : Valéry Guedes, publié dans le N°15 de Fou de Pâtisserie.

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Il est pâtissier de formation, mais reconnu aujourd’hui autant pour son pain que ses mets sucrés. A la tête de trois boutiques, Benoît Castel travaille avec les producteurs locaux afin de gagner en simplicité et retrouver l’essence même des produits. En toute simplicité, il m’a reçu « chez lui », dans son univers de Ménilmontant.

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FOCUS SUR LE CHEF

Quel a été votre parcours depuis le plus jeune âge ?
J’ai fait un apprentissage en Bretagne à Rennes dans une très jolie maison, La Duchesse Anne, qui n’existe plus. Là-bas, j’ai tout fait de A à Z, ça a donc un vrai sens aujourd’hui. Je suis monté à Paris à l’âge de 17 ans, puis j’ai travaillé dans La Pâtisserie de l’Eglise (Maison Demoncy-Vergne située au métro Jourdain, dans le XXe) dans les années 1990. Ce qui est drôle, c’est que le fils du chef, Monsieur Vergne, est vendeur chez nous actuellement. J’y suis resté quatre ans et j’ai par la suite travaillé chez Jean-Luc Valentin, dans le XVIIe arrondissement de Paris. Ensuite, quatre ans chez Hélène Darroze, et plein de petites maisons (le groupe Costes notamment).

Avant d’arriver à la Grande Épicerie ?
Huit ans à la Grande Épicerie en effet. Une expérience extraordinaire parce que c’est une belle maison, mais aussi parce qu’il y a beaucoup d’experts dans plusieurs domaines : les fruits, les épices… C’était passionnant en termes de culture du produit. A partir de là, j’ai ouvert Joséphine Bakery dans le VIe arrondissement (que tient ma femme aujourd’hui). Ce fut mon premier contact avec la boulangerie car je ne suis pas boulanger de formation. Après, j’ai ouvert la boutique dans le 10e (Liberté) avec un associé dont je me suis séparé, celle de Ménilmontant et le corner aux Galeries Lafayette Gourmet.

Je réfléchis comme un pâtissier dans la fabrication du pain.

On est ici dans la boulangerie-pâtisserie de Ménilmontant, pourquoi ce quartier ?
J’habitais à coté à l’époque. En 1990, quand j’ai commencé à La Pâtisserie de l’Église, c’était donc dans le quartier. Je l’ai connu comme ça et j’ai su que c’était un bon spot. J’adore ce quartier, il change de plus en plus, c’est mon lieu de prédilection. Il ressemble à un petit village.

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LA BOUTIQUE

Dans le quartier justement, il y a déjà les Maisons Gana, Landemaine…
Il n’y a pas de réelle concurrence avec Gana. Madame Ganachaud habite dans le coin désormais. Dans la famille, ils étaient attachés à cet endroit quand ils l’ont vendu (avant de la vendre dans les années 1990, la famille Ganachaud occupait la boulangerie-pâtisserie de Benoît Castel). Le lieu a été vendu deux ou trois fois jusqu’à ce que je m’installe. A chaque fois, le niveau baissait. Ça leur a fait plaisir de revoir un endroit qui revit. Quand j’ai ouvert, ils m’ont même dit ‘Ah, enfin la boutique revit comme avant’.

La boulangerie-pâtisserie de Benoît Castel, ça ressemble à quoi ?
Pour moi, une pâtisserie et une boulangerie sont de vrais lieux de vie. Un endroit intime comme chez le coiffeur. L’idée était de faire quelque chose qui soit accessible aux gens.

La vitrine chez Benoit Castel, ici aux Galeries Lafayette Gourmet.
Crédit : Benoit Castel.

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LE CONCEPT

Comment vous positionnez-vous aujourd’hui dans le secteur ?
Ma gamme de pâtisseries est simple. Il y a très peu de décors parce que c’est ce qui revient le plus cher. Il y a suffisamment de pâtissiers-bijoux à Paris, je ne veux pas aller sur ce créneau-là.
Je veux une pâtisserie qui soit simple, qui me ressemble, qui ne soit pas compliquée à manger. Je veux qu’on puisse rentrer dans le lieu simplement. C’est pour ça aussi que j’ai ouvert le labo sur l’extérieur. Tout ce qui est dedans était déjà présent (les briquettes, les fours des années 1950, les poutres) et le reste est de la récupération que l’on a chiné.

Je veux une pâtisserie qui soit simple, qui me ressemble.

Vous proposez une gamme réduite de gâteaux, une volonté ?
Mon idée est d’avoir des bons produits. J’ai une douzaine de pâtisseries en générale en vitrine, un peu plus par période ou le week-end, c’est suffisant. On a une gamme qui est courte et c’est important. S’il y a 30 gâteaux derrière, c’est qu’il y a un problème quelque part.

Vous l’avez évoqué tout à l’heure, il n’y a rien de « bling-bling » chez vous…
Ma pâtisserie n’est pas très colorée, mais elle l’est naturellement. Il y a zéro colorant, contrairement à la Grande Épicerie. Quand j’ai commencé, j’ai tout de suite arrêté ça.
Ensuite, j’ai une gamme variée, avec des référents : la tarte citron, le cheesecake qui ne sort jamais, le moelleux, etc. Dans la tarte citron par exemple, on presse le citron tous les jours, il n’y a que du frais.
Pareil pour la signature de mes gâteaux, c’est ce petit sablé. Je ne voulais pas mettre mon nom ni d’artifice. Je veux une identité, à l’image de cette base de sablé : carrée et dentelée.

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LES PRODUITS

On retrouve aussi beaucoup de classique de la pâtisserie française ?
Oui j’ai ainsi le flan vanille, le far breton, la tarte Tatin, les choux, le chocolat. Je n’utilise les fruits que lorsque c’est la saison. Quand je reçois des fraises et qu’elles ne sont pas bonnes, j’attends encore.
On a également nos petites astuces pour les rendre attrayantes. La tarte Tatin, elle, est confite, et on a un sucre parfumé au gingembre (qui n’est pas indiqué pour faire fuir les gens). Mais on ne le perçoit pratiquement pas. Le produit n’est pas le plus élégant, mais il est juste.
Votre marque de fabrique quand même, c’est la tarte à la crème ?
La tarte à la crème reprend les codes du Saint-Honoré avec une crème onctueuse et une chantilly faite à base de crème épaisse et liquide). J’aime rendre le produit ludique. Pourquoi ces deux crèmes ? J’ai un vrai souvenir des desserts de ma mère et de ma grand-mère. Elles faisaient toujours de la chantilly avec de la crème épaisse. Cela ramène de l’acide dans la crème et cela déssucre le produit.

Un ingrédient que vous aimez travailler ?
Parfois les chefs ont des flashs. J’ai découvert le sel de Salish il y a peu, j’en ai fait un pain avec. Et là dernièrement, j’ai découvert le poivre de cassis. Je le travaille beaucoup dans les crèmes et bases de fruits rouges. Ce n’est pas poivrer pour poivrer, mais c’est le petit plus qui va faire que ça « matche ».

Une pâtisserie simple et raffinée, mais surtout de l’excellent pain ?
J’ai aussi une gamme réduite. Là j’ai un nouveau pain qui vient de sortir (aux Galeries Lafayette, puis très vite à Ménilmontant) : le pain de deux livres. Ca fait six mois qu’on est dessus. On est passés par plein de phases sur ce pain. Je n’arrivais pas trouver ce que je voulais faire.

La Tarte à la crème, sa petite douceur.
Crédit : Benoit Castel.

Comment vous les concevez vos pains ?
On a un sourcing au niveau des pains : pas de levure notamment pour que ce soit du pain naturel. Je travaille beaucoup avec Philippe Guichard. Tout n’est pas bio mais on est sur une farine agricole. Trois jours après, le pain est toujours bon.

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RAPPORT AU MÉTIER

Quelles ont été vos plus belles rencontres dans le métier ?
J’en ai fait beaucoup tout au long de ma carrière. Des conseils, des professionnels ou non, plus ou moins connus. Des histoires, des inspirations. Je peux citer Christophe Felder, Pierre Hermé ou des copains comme Christophe Adam, Arnaud Larher. Mais il y en a plein.
Des rencontres qui vous construisent pendant votre vie professionnelle.

Quelles sont vos inspirations en règle générale ?
Il y en a plein. Le week-end par exemple, je fais une gamme de desserts un peu plus bourgeoise comme la profiterole avec une crème d’avocat au chocolat. Cette crème, c’est un petit clin d’œil à la Maison Plisson où je l’ai découverte.
Parfois, les inspirations viennent naturellement. Je l’imagine comme cela. On se fait une bibliothèque dans la tête avec des cases et on se créé des référents puis une recette. Exemple : on sait que l’abricot va bien marcher avec du safran et de l’amande. Des connexions se font et à chaque fois qu’on mange un nouveau truc, tout s’allume. On se dit qu’on peut rajouter ce livre-là, ce livre-là, etc.

Y’a-t-il quelque chose qui vous a marqué plus particulièrement ?
Il y a dix ans, dans un restaurant de desserts en Espagne, je vois à la fin d’un menu : ‘pain perdu, lait de coco, passion et bacon’. Là je me dis que ça ne va pas marcher. Je goutte, je mâche… et wouah, c’est incroyable, ça marchait. C’est une des choses qui m’a le plus surpris. Mais qui aurait imaginé cette association. Du coup, je l’ai refait par la suite à ma sauce en France, avec crème passion, une chantilly lait de coco et des chips de bacon.

Quand on fait à manger pour les gens qu’on aime, on fait toujours mieux à manger.

Au niveau des tarifs, c’est plus que raisonnable, vous l’expliquez comment ?
Je fais des gâteaux hyper simples et épurés. Et c’est pareil au niveau des boitages. Ça coûte un bras, donc on a voulu faire quelque chose de simple. De nos jours dans les pâtisseries, il y a autant de boitage que de pâtisseries, ce n’est pas normal à mon sens.

Et ça fonctionne bien ?
Aujourd’hui je suis content, mais c’est beaucoup de travail. La chance que l’on a, c’est d’avoir un beau métier, il faut faire plaisir aux gens. Quand on fait à manger pour les gens qu’on aime, on fait toujours mieux à manger. Si j’avais à refaire ce que j’ai fait, je referais tout pareil : des belles choses, aux échecs.

Comment définiriez-vous votre style ?
Ce qui me caractérise le plus, c’est la convivialité, la sincérité, la générosité. Ce sont des mots qui me plaisent. Je m’intéresse aux gens, à leur travail, au produit, à la matière première. Du produit à l’agriculteur. Ce qui m’excite aujourd’hui, c’est de trouver le produit qui « matche » bien. C’est un luxe de faire simple alors que c’est vachement difficile d’épurer au maximum.

Le fraisier décomposé est de retour chez Benoit Castel.
Crédit : Benoit Castel.

Votre brunch à volonté est réputé dans tout Paris maintenant, on y fait la queue le week-end…
L’idée m’est arrivée assez rapidement, parce que le lieu est vachement grand. Je n’en pouvais plus d’aller bruncher pour 25 € avec des plats vus et revus, des jus de fruits pas frais, etc. C’est sûr que je ne voulais pas ça.
C’est un brunch à volonté, oui mais quand les gens n’ont plus faim, ils arrêtent de manger. J’ai fait très simple, je me suis posé la question : qu’est-ce que tu aimerais manger ?
C’est simple, on fait un poulet rôti (poulet fermier du Gers), des légumes bio, du riz au lait qui sort du four, les viennoiseries, le pain, les cakes, etc.
On a tout ce que les gens commanderaient dans les restaurants avec la place en plus. Ce qui est intéressant, c’est qu’on a un retour direct des gens.

Vous avez des projets ?
Depuis mon départ de Liberté (il a cédé la boutique rue des Vinaigriers à ses associés), je me suis concentré pleinement à Ménilmontant et aux Galeries. Il y a d’autres projets qui vont arriver d’ici la fin de l’année. Je ne peux pas encore vous dire quoi (sourires), mais j’adore les projets et les nouvelles histoires. Une année très difficile s’est écoulée, mais ça va arriver au niveau des produits et plus encore.

C’est un luxe de faire simple.

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HORS PÂTISSERIE

Une table (enfin plusieurs…)
Il y en a tellement (rires). Je vais vous donner un Top 5. Le Semilla (54 rue de Seine, Paris VIe) / Neva Cuisine (2 rue de Berne, Paris VIIIe) de Béatrice et Yannick Tranchant : le meilleur ris de veau de Paris est là-bas, c’est incroyable / Les tables de Allard (41 rue Saint-André des Arts, Paris VIe) / Le Petit Lutetia (107 rue de Sèvres, Paris VIe), j’adore cet endroit, il y a plein d’histoire, et j’adore leur escalope de veau à la crème / Chez Huguette (81 rue de Seine, Paris VIe), la spécialiste des poissons / Et aussi un endroit où j’adore manger avec les copains le midi xx et leur saucisse-purée.
J’ai l’impression qu’il y a une bonne table qui ouvre chaque semaine à Paris.

Un brunch
Le BigLove Caffé. La « cam » est vachement bonne, ce n’est pas cher. Le rapport qualité prix est essentiel. Les œufs sur le plat à la truffe avec une crème de maïs à 14 €, franchement j’avais fini mon plat et je n’avais plus faim. Pareil pour le pain perdu-brioche imbibée à la crème de mascarpone… ok c’est un peu fat mais c’est bon !

Une pâtisserie
Dans chaque quartier de Paris, il y en a au moins une bonne. Un truc que je fais avec plaisir, c’est aller chercher une glace chez Une glace à Paris, d’Emmanuel Ryon. Je vais aussi chez Yann couvreur, Yann Menguy, Christophe Rhedon ou Karamel. Ainsi que chez Arnaud Larher que j’adore, et Blé sucré.

Gâteau préféré
J’adore la tarte Tatin. Quand je vais au restaurant, je la prends si elle est à la carte, avec de la crème épaisse. J’en fais à la maison, tout le monde se régale. La pomme, la crème… c’est un mariage qui me plait, ce côté confit et caramélisé avec l’acide de la crème.

Une autre passion
J’aime voyager, j’adore ça même. Je ne voyage pas assez, mais j’aime bien aller dans un pays et être déboussolé.
Sinon, j’ai une autre passion, c’est le cerf-volant. J’en ai huit, à delta, de traction… C’est un vrai truc qui me détend la tête. J’en ai qui font 2,50 mètres d’envergure. Les gens me prenaient sur un fou quand ils voyaient ca sur mon CV. Ça m’apaise, ça me plait.

EXCLU : Benoît Castel a découvert une crème épaisse normande dans la crèmerie Graindorge fin mars. Subjugué par cette crème, il devrait imaginer un dessert autour d’elle et de la fraise d’ici quelques semaines.

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 Benoît Castel, boulangerie-pâtisserie, 150 rue de Ménilmontant, Paris XXe / 40 boulevard Hausmann, Lafayette Gourmet, Paris IXe / Joséphine Bakery, 42 rue Jacob, Paris VIe.

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