François Perret – Le Ritz : « Je veux garder une pâtisserie qui soit généreuse, qui ne se prenne pas au sérieux »

Arrivé dès la réouverture du Ritz après quelques mois de travaux, le pâtissier François Perret a su imposer son style dans un des berceaux gastronomiques français. Entre tradition modernisée et créativité à l’état pur, le chef propose une carte de pâtisseries et desserts impressionnante mais cohérente.
Il m’a reçu humblement pour une interview-dégustation passionnée, axée sur le produit.

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FOCUS SUR LE CHEF
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Quel a été votre parcours avant d’arriver au Ritz ?
J’ai travaillé deux ans au Meurice avant de partir et passer sept ans au Georges V, puis cinq ans au Shangri-La. J’y ai fait l’ouverture et y suis resté de 2010 à 2015. J’étais très bien. Quand ils m’ont appelé pour faire la réouverture ici (au Ritz), ce sont des choses qui ne se refusent pas. Pour moi, le Ritz est un rêve de gosse. Quand j’étais sur Paris, j’ai postulé en 2002 et il n’y avait pas de place.

Une consécration alors il y a deux ans ?
Quand ils m’ont appelé fin 2014-2015… je ne sais pas si c’était une consécration, je n’espère pas, mais c’était une sacrée mission. Déjà parce que l’hôtel est énorme. Ensuite, on a beaucoup de points de vente, c’est un vrai challenge. L’hôtel n’avait jamais fermé (ouvert en 1898) et c’est un précurseur dans le domaine de la gastronomie et de l’hôtellerie : c’est lui a qui a posé les premières pierres.
A 35 ans à l’époque, c’était le moment de prendre une autre mission. Cinq ans au Shangri-La, je pense que c’était bien. On avait une bonne réputation et je voulais voir autre chose.

N’est-ce pas trop dur de recommencer à zéro à chaque fois ?
Aucune maison ne se ressemble, les clientèles ne sont pas les mêmes. On a toujours quelque chose à apprendre. On peut se remettre en question. Ce qui est important c’est de prendre des risques aussi, avoir une énergie supplémentaire.
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Se remettre en question, prendre des risques.
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TRAVAIL EN PALACE
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Vous faîtes la carte du Tea Time, des bars, restaurants… n’est-ce pas trop compliqué ?
Je m’occupe aussi bien du Bar Vendôme, du Salon Proust, du Ritz bar, de la Table et des Jardins de l’Espadon, des banquets, que des chambres. On a sept points de vente différents avec des cartes différentes à chaque fois. On se resserre parfois de certains produits mais tous ont leur identité propre. C’est ce qui est intéressant pour moi parce que j’ai un large panel.

Les desserts de François Perret au Ritz.
(Crédit : X.M.)

Combien êtes-vous dans les équipes ?
On est 19 fixes en pâtisserie et 6 en boulangerie. On ne sera jamais assez nombreux. Il y a trois shifts mais le Ritz est ouvert 7/7 jours, 365/365 jours. On est une belle équipe… On fait ce qu’il faut pour faire au mieux.
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Je prends du plaisir à créer, trouver des idées, mettre en vie.
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Vous prenez plus de plaisir avec les gâteaux ou les desserts à l’assiette ?
Moi je prends beaucoup de plaisir à créer, beaucoup de plaisir à trouver des idées, à essayer de les mettre en vie. Chaque métier a ses passages. Je suis très content d’être arrivé à un niveau où je peux me garder la cerise sur le gâteau. Il y a des idées qu’on va trouver comme ça et d’autres pas, ou plus tard.
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PHILOSOPHIE
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Votre pâtisserie au Ritz, elle ressemble à quoi ?
Ce que je veux quand je regarde, quand je travaille la carte, c’est d’une pâtisserie qui soit de forme différente. Je n’ai pas envie d’avoir quelque chose qui soit toujours rectangle, ovale ou carré. Je veux de la diversité, et quand je travaille les cartes, j’y réfléchis tout le temps. Je me demande comment je peux apporter de la diversité dans les formes et dans les goûts.
Ensuite j’ai envie d’avoir toujours une proposition assez large. Les gens qui viennent dans ce genre de maison ne veulent pas être contraints à avoir deux, trois, quatre ou cinq choix. Il faut avoir du choix, des pâtisseries différentes. Ça fait toute la différence.
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La pâtisserie doit être rassurante.
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Que doit-elle dégager ?
Après je reste persuadé qu’il faut un peu de modernité. Je suis resté un enfant. On travaille des produits qui rassurent. La pâtisserie doit être rassurante et c’est ce que j’en attends.
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PRODUITS
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Vous avez une gamme de 10 gâteaux en tout à la carte du Bar Vendôme, n’est-ce pas trop ?
C’est compliqué d’en faire autant, mais c’est important. Et si c’est important ça prend le dessus.

Quel a été votre approche en arrivant au Ritz ?
J’ai envie d’une pâtisserie qui de premier aspect soit différente. Je n’ai pas envie que, lorsqu’on regarde la vitrine, on se demande où est-ce qu’on est. Je veux que ce soit évident. Quand les gens voient l’éclair, je ne veux pas que ce soit l’éclair d’ailleurs. Mon but est d’apporter une originalité sur une pâtisserie déjà connue.
Mon éclair, avec un tel glaçage, je ne l’ai jamais vu. J’essaye toujours d’apporter de la différence. Après, il y a les moules et le savoir-faire. Mais on peut toujours arriver à faire la différence.

Votre tarte au citron, par exemple, n’a rien à voir avec les autres ?
Peu de produits me suivent depuis le début sauf la tarte au citron faite en 2010. Un blanc d’œuf remplace la meringue et je trouve que gustativement, cela fait la différence. Ce qu’on essaye d’apporter visuellement a normalement un sens gustativement. C’est compliqué, oui, mais on apporte quelque chose de nouveau.
Il apporte du volume visuellement et si on avait ce volume avec quelque chose de plus dense, on aurait un problème au niveau du goût. Cela amène beaucoup de légèreté. Le blanc en neige apporte bien moins de sucre.

L’éclair au chocolat a lui aussi sa propre finition ?
Sur l’éclair au chocolat, on a visuellement ce côté poudré. En bouche, le premier contact que l’on a, c’est ce côté poudré du cacao sur la bouche. C’est là que c’est intéressant.
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La dégustation, c’est un peu les préliminaires.
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Votre fraisier est tout simple, une volonté ?
Sur le fraisier, ce qui est intéressant, c’est d’avoir un seul biscuit. Visuellement on a une seule rangée de fraises (on se tire les cheveux d’ailleurs et on a assez de fraises dans la maison pour faire nos coulis, sorbets, confitures ; on utilise 80 kg de fraises par semaine, rien ne part à la poubelle).
On tape en premier dans la crème puis on a la fraise et enfin le biscuit. Il n’y a aucune résistance quand on entre dans le produit. Ça aussi j’y attache beaucoup d’importance. Je veux faire en sorte qu’on comprenne ce qui va se passer. Il ne faut pas mettre de côté le moment de la dégustation. C’est un peu les préliminaires (toutes proportions gardées).

Le fraisier de François Perret au Ritz.
(Crédit : François Perret – Le Ritz)

Le baba, par contre, a l’air plus classique visuellement ?
Le baba, qui paraît très classique, ne l’est pas pour autant. On a rajouté un cœur de crème fraiche dedans pour qu’on ait un petit peu de crème plus souple, moins grasse (même si ce n’est pas forcément le cas), mais qui va apporter un peu d’humidité supplémentaire.

Le baba au rhum de François Perret au Ritz. (Crédit : X.M.)

Pas d’artifice aussi sur la tarte au chocolat, tout est à l’intérieur ?
La tarte au chocolat, je la voulais en truffe. Le montage est fait à base de ganache, de crème d’amandes et de grué de cacao. Et dedans, on a une crème beaucoup plus souple, cacaotée, qui va adoucir la bouche avant que le cacao ne vienne sublimer le goût.

Je remarque un petit pot de crème à côté de la Charlotte…
La Charlotte, je voulais un dessert généreux, léger, mais surtout je ne voulais pas de crème. Je voulais un biscuit des plus simples possibles. La crème est à côté et le client a le choix ou non de la mettre. On a une grosse clientèle féminine et elle doit avoir le choix. Un biscuit, une compotée de framboises et des framboises fraiches, c’est simple.

La Charlotte de François Perret au Ritz.
(Crédit : François Perret – Le Ritz)

Un millefeuille assez intriguant aussi ?
Le millefeuille, c’est encore un gâteau différent. J’ai voulu faire un feuilletage très aéré parce que je le voulais en un seul morceau. La raison ? C’est qu’un feuilletage monté à l’avance « remouille » et perd sa qualité gustative de départ. Je trouvais ça important de faire un feuilletage bien épais pour mettre le caramel à l’intérieur et poser la crème entre deux feuilles de chocolats afin de ne pas avoir un feuilletage humidifié par la crème. Je voulais qu’il conserve sa friabilité.

Le millefeuille de François Perret au Ritz. (Crédit : X.M.)

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Pour la madeleine, j’ai dû faire une centaine d’essais…
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Un dessert qui fait aussi votre réputation, c’est la fameuse madeleine
Pour la madeleine justement, je voulais quelque chose de volumineux (elle fait 145 g. ndlr) mais qui soit léger en même temps. Qu’on se dise : « ah ça va être costaud » et qu’on se surprenne de le terminer. J’ai axé sur un ingrédient qui est le miel, un miel de châtaigner qui a de la force et du caractère.
Le gout parle de lui-même. Sur ce gâteau, je ne voulais surtout pas de coque en chocolat donc j’ai galéré pour réussir à faire quelque chose de bien sans chocolat. Le chocolat est très puissant et quand on déguste, on va forcément l’avoir en fin de bouche même s’il n’est pas énoncé dans le produit. J’ai dû faire une centaine d’essais…

La madeleine au miel de François Perret au Ritz.
(Crédit : X.M.)

Originale mais classique…
Je veux quand même de l’originalité mais rester classique aussi. Dans une maison comme celle-ci, on est dans le temple de la gastronomie (Auguste Escoffier par exemple), un hôtel qui reflète la gastronomie française. C’est là qu’a été créée la Pêche Melba, la Poire Belle-Hélène… ce n’est quand même pas rien historiquement. La crêpe Suzette aussi, c’est du lourd. Il faut garder le classique et apporter la nouveauté.

Et léger…
Je veux travailler avec des produits de caractère mais que ce soit quand même léger. La plus belle victoire, c’est quand un client va finir son dessert déjà, sans se forcer, et se demander ensuite s’il va en prendre un deuxième.

Quels gâteaux fonctionnent le mieux ?
La carte, on la change deux fois par an mais on garde 50 % des produits. Les clients demandent les desserts si l’on change trop. Le millefeuille est le best au Ritz, et si on devait donner un ordre pour la suite, je dirais la tarte au citron, le fraisier, le cheesecake, l’éclair, la madeleine et le reste bien derrière.
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On fait une pâtisserie pour se faire plaisir mais aussi pour faire plaisir.
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La madeleine seulement sixième du coup ?
Les gens qui mangent ces produits-là – pas ceux qui en parlent – vont toujours vers les grands classiques. C’est pour ça que je les veux absolument à la carte. On fait une pâtisserie pour se faire plaisir mais aussi pour faire plaisir. C’est indispensable d’avoir des produits qui rassurent les gens et on s’en rend vraiment compte quand on voit les pourcentages des ventes. Que la madeleine arrive en 6e position, c’est une grande victoire quand à coté on a un millefeuille, un baba, un éclair ou un fraisier.

Plus facile de faire un éclair alors ?
Non. Pour nous en pâtisserie, c’est plus facile de réaliser une madeleine, une barquette ou autre parce que ce sont des desserts qui n’existent pas. Du coup, les gens ne vont pas les comparer. Dans la madeleine, l’association est plutôt rare.
En contrepartie, faire un fraisier, un baba, un éclair… les gens ont un curseur, ils connaissent le produit, ont leur propre pensée sur le produit, et pour nous ça en devient presque plus compliqué. Les gens comparent. C’est dur de comparer, mais on ne peut pas empêcher. Même si je serais d’avis de ne pas le faire.
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LES INGRÉDIENTS
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Quel est l’ingrédient que vous affectionnez le plus ?
Plus j’ai de produits, plus je suis content, plus je peux m‘exprimer. Et plus je m’exprime, plus je suis heureux.
Je vais aimer le miel sinon ou le grué de cacao, un produit que j’affectionne beaucoup. J’aime bien avoir de la vie dans un dessert. Je ne veux pas d’un dessert qui soit plat ou qui n’apporte pas d’énergie particulière à la dégustation. Ces produits-là sont très typés et amènent de la vie en dégustation. Le cacao apporte de l’amertume, le grué a un côté très torréfié, le miel de châtaignier, un côté lui très amer. On peut aussi les avoir avec de la crème, du vinaigre, un fruit.

Comment les sélectionnez-vous ?
Tout ce qui est chocolat, grué de cacao, etc viennent de la Chocolaterie de l’Opéra. Le miel vient de chez Alexandre Stern. Il vend des miels qu’il source lui-même.
Les fraises viennent du Vaucluse directement, on les as tous les deux trois jours ; les fraises des bois d’Espagne puis début juin de France, à coté de Paris. On s’intéresse au produit.
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Je ne veux pas d’un dessert qui soit plat ou qui n’apporte pas d’énergie particulière.
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Vous accordez une importance toute particulière au beurre je crois ?
Du bon beurre, de la bonne crème, des bons fruits, pas de colorant, pas d’édulcorant, pas d’anti-humidité… Des produits naturels de chez naturel que l’on refait tous les jours.
Je suis de Bourg-en-Bresse, on a une crème qui vient de la laiterie d’Etrez, ils font une crème qui est AOC et magnifique, tout comme le beurre. C’est un beurre d’exception travaillé en coopérative et en baratte. Aujourd’hui, tout le monde travaille avec le même beurre donc c’est intéressant d’avoir des produits différents.
Le beurre je le mange à la cuillère. Il n’y a pas de crème UHT chez moi, on s’en sert uniquement sur les glaçages (un seul de ses gâteaux est d’ailleurs recouvert de glaçage). Tous nos laits sont entiers.
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INSPIRATIONS / IDÉES
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D’où viennent toutes vos idées ?
Les formes déjà. Puis l’enfance. J’aime bien que la pâtisserie rassure, c’est le bonus. C’est comme ça que je l’entends. Je suis issu d’une famille assez grande. Nous étions huit frères et sœurs. Je me suis rendu compte assez tôt de plusieurs choses lors des repas. Lorsque l’entrée arrive, les gens mangent. Idem pour les plats. Puis le dessert intrigue. Les gens demandent comment est-ce qu’il est fait et en reprennent souvent, ce qui n’est pas forcément le cas des autres plats.
Ce qui est marrant, c’est qu’on prive les enfants de dessert mais pas de pâté en croute par exemple. Ça pour moi, c’est très parlant.
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Je ne veux pas non plus d’une pâtisserie qui soit trop parfaite pare que ce n’est pas mon image d’un gâteau, en tout cas d’un bon gâteau.
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Quelle est votre image d’un gâteau parfait ?
Je veux garder une pâtisserie qui soit généreuse, une pâtisserie qui ne se prenne pas au sérieux, qui soit belle, qui soit propre. Mais qui soit quand même une pâtisserie. Je ne veux pas non plus d’une pâtisserie qui soit trop parfaite pare que ce n’est pas mon image d’un gâteau, en tout cas d’un bon gâteau. J’ai envie de garder une pâtisserie qui ne trompe pas la personne qui va la manger.

A l’image de la madeleine ou de la barquette ?
La madeleine et la barquette ne se prennent pas au sérieux. Au Salon Proust, j’ai des oursons. Mais avant de devenir des produits industriels, ils étaient des produits de pâtissiers. Les industriels n’ont rien inventé. Ils se sont réapproprié le travail de tous les artisans.

La barquette de François Perret au Ritz.
(Crédit : X.M.)

Proust, un retour à l’enfance ?
Je voulais un Salon Proust exclusivement avec de la biscuiterie. Je veux remontrer la différence entre une cigarette industrielle et une cigarette d’artisans. Une paille industrielle et une paille artisanale. J’ai toujours aimé en faire. Je veux remettre l’accent sur ces produits de l’enfance que l’on a tous connus. Ce sont des produits qui vous parlent.

Quand êtes-vous satisfait ?
Avoir un 8/10 c’est très bien, top. Je ne suis pas fataliste, mais réaliste. Aujourd’hui il faut avoir conscience en son raisonnement mais en étant à l’écoute et en ajustant le curseur. Je travaille pour le client. Tout ce qui m’importe c’est que le maximum de retours soient positifs, que le client prenne du plaisir.
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HORS CADRES
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Votre gâteau préféré ?
Ça sera un cake plutôt marbré avec de la crème anglaise. J’en mangeais quand jetais petit. Celle que je connaissais était tellement différente de celle qu’on voit. Du coup, quand je suis arrivé ici, j’ai mis la recette en porte à faux. D’une simple crème anglaise, j’ai voulu apporter beaucoup plus de légèreté. Les gens font leur crème anglaise avec simplement des jaunes et de la crème, du coup la crème cuit vite et devient surgrasse. Pour moi c’est écœurant et pas du tout léger.
Je suis revenu sur la crème que faisait mon père avec uniquement du lait et des blancs d’œuf. C’est beaucoup plus aéré, ça va réduire, réduire, réduire et ramener la matière grasse du lait. Donc être plus léger. Je pourrais en manger à la louche (rires).
Avec du cake, un gâteau mousseline, un gâteau de Savoie. J’aime encore les choses simples. On s’en lasse moins.

Un retour à la base ?
Revenir à la base oui, sauf pour la tarte au citron. Je ne pourrais pas manger la recette originelle. On se repose sur nos goûts à nous mais je reste beaucoup à l’écoute. Le but est de rassembler le plus de monde. Aujourd’hui, vous n’aurez jamais dix personnes d’accord avec vous. Sur le visuel peut-être mais le goût non.

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 Hôtel Ritz Paris, 15 Place Vendôme, Paris Ier.
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