Carl Marletti : « Faire partie des références du métier »

Carl Marletti est un pâtissier de renom aujourd’hui dans le paysage sucré français. Mais c’est aussi un artisan atypique. Formé dans l’hôtellerie de luxe, il émerveille aujourd’hui les papilles avec ses créations individuelles. Implanté depuis dix ans dans le Ve arrondissement de la capitale, il n’a toujours qu’une boutique et semble s’en satisfaire. Dans un petit café attenant à sa boutique, sous des airs de Sinatra, le chef m’a reçu et s’est livré sans concessions.
Entretien avec un « joaillier de la pâtisserie », un homme passionné, qui a su surtout garder les pieds sur terre.

 

 

FOCUS SUR LE CHEF

 

Comment vous est venue cette passion de la pâtisserie ?
Je suis issu d’une famille de pâtissier, mon cousin était pâtissier chez Lenôtre et il a démarré l’aventure là-bas.
C’est toujours un métier que j’ai voulu faire, c’était une évidence de faire ce métier-là.

Qu’est-ce qui vous plait dans ce métier ?
On va démarrer d’une matière première et on va en ressortir un gâteau, une crème… Avec de la poudre, des oeufs, on arrive à en faire quelque chose de magique, de gourmand. Ce qui est intéressant, c’est de fabriquer et voir ensuite la mise en valeur devant le client.

Quelle a été votre formation ?
A 16 ans, j’ai fait une école hôtelière sur trois ans, avec une année où j’étais sur la partie traiteur et les deux autres en pâtisserie pure. J’ai ensuite fait des stages, chez mon cousin qui m’avait prévenu que ce serait un métier difficile, puis j’ai fait ma première grosse réception à Auteuil-le-Roi près de Thoiry et ma première grosse prestation pour l’anniversaire de Jean-Claude Decaux avec 10.000 personnes. Je m’en rappelle, on avait sorti 10.000 petits fours, une expérience titanesque quand on n’a jamais eu ce genre d’expérience.
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C’était une évidence de faire ce métier-là.

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Et ensuite Potel et Chabot…

J’ai fait deux stages chez Potel et Chabot. Mon implication a fait que j’ai été engagé après le stage et j’y suis resté trois ans.
C’est la première maison où j’ai tout appris. C’est là que j’ai rencontré Christian Vautier en charge du poste entremets. Il est parti et m’a appelé pour le rejoindre au Grand Hôtel.

Le domaine de l’hôtellerie donc ?
J’ai gravi les échelons un à un, de sous-chef à chef pâtissier. J’ai fait la fermeture de l’hôtel en 1999 (pour travaux) puis la réouverture, une expérience unique. Dans un hôtel, tout est regroupé au même endroit : la pâtisserie pour le restaurant, le banqueting ou le sur-mesure pour un client. C’est un challenge en permanence. Le Grand Hôtel a été une école de formation. Je voulais y rester trois ans et y suis resté finalement 14.

L’OUVERTURE DE LA BOUTIQUE

Vous êtes partis… vous aviez fait le tour ?
A 37 ans, j’avais besoin de changement. J’ai voyagé au Japon, en Russie, au Canada… C’est là qu’on voit que la pâtisserie française reste bien spécifique. C’est dans notre ADN, il y a une telle richesse en France.
Une amie m’a parlé de la possibilité de travailler à mon compte. Mais je n’aurais jamais pensé ouvrir ma boutique car j’avais un schéma traditionnel en tête de l’artisanat, l’idée du couple avec la femme en caisse, etc.

L’ouverture, c’était quel jour, vous vous en souvenez ?
On a commencé les travaux en novembre 2007 et l’ouverture a eu lieu le 1er décembre 2007 à 12h30.
Quand on est dans sa boutique, on est en direct avec le client. Et quand j’ai monté mon projet, c’était une évidence, je voulais des hommes avec moi. J’ai fait venir Jean-Michel Coppens que j’ai connu au Grand Hôtel.

Pas trop compliqué au début ?
Au démarrage, j’étais seul à la production avec une apprentie. Mais plusieurs amis m’ont aidé, comme Philippe Rolando (Du Jules Verne, à la Tour Eiffel), Florence Leroy adjointe au Grand Hôtel ou Christophe Michalak.
Je me souviens de l’attente après l’ouverture. Une petite mamie m’avait dit : « De toute façon, ça ne marchera jamais ». Il faut dire que l’historique de la boutique était très compliqué.
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Si je suis encore ici, c’est grâce à la fidélité des clients.

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Pourquoi ce quartier ?

J’y allais avec mes parents quand j’étais petit. Dans le Ve, on a l’impression d’être dans une bulle, et puis il y a cet esprit village. C’est Fabrice Le Bourdat (chef pâtissier de Blé Sucré) qui m’a parlé de cette boutique. Il y avait la fontaine, le square et l’église, ça m’a tout de suite plu.

Au niveau des financements ?
J’avais 30 % d’apport, mais même avec ça plein de banquiers m’ont fermé la porte. Dans le quartier, il y avait déjà Moisan, Dominique Saibron, ils voulaient absolument que je fasse du pain. Moi je ne voulais faire que de la pâtisserie.

Y’aura-t-il un événement pour les dix ans ?
Oui, c’est important. Aujourd’hui, j’ai une équipe de 14 personnes, dix à la production et quatre à la vente. Si je suis encore ici, c’est grâce à la fidélité des clients. On va donc remercier leur fidélité.

LES PRODUITS

Comment décrirez-vous votre gamme ?
Mon idée c’était de faire une bijouterie à gâteaux, parce que j’aime le milieu de l’artisanat et le milieu artistique. On démarre de matières premières, que l’on va transformer. Plusieurs métiers se rejoignent. Je ne voulais pas quelque chose qui effraie la clientèle mais quand même du beau.

Sous quelle forme ?
Mon but, était de faire seulement des gâteaux individuels. C’est plus gourmand et c’est une question de logistique aussi. Je ne veux pas vendre un grand gâteau qui date de la veille. On a démarré entre 15 et 20 sortes de gâteaux et là on arrive actuellement entre 30 et 35 chaque jour. Je trouvais ça joli de voir un visuel linéaire. Il faut des gâteaux excentriques et des plus classiques.

Excentrique… ce serait lequel dans votre offre ?
Peut-être le Lilly Valley. C’est un gâteau en hommage à ma femme qui a une boutique de fleurs pas loin. J’aime travailler les essences de fleurs, les épices… La pâtisserie est un jeu d’équilibre, c’est associer un jeu de textures et de goût mais avec un bon équilibre.

Combien de temps mettez-vous pour élaborer un gâteau ?
Je peux le créer en une heure comme en huit jours, tout dépend de l’état physique. Et tout est source d’inspiration : un voyage, quelque chose dans la rue, etc.
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Mon idée, c’était de faire une bijouterie à gâteaux.

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Vous parlez de sources d’inspiration. Quelle est la principale ?

Le Japon est pour moi une grosse source d’inspiration. Je suis amoureux du pays. C’est un pays des extrêmes. Vous passez d’un temple traditionnel à un building, d’une geisha à un jeune manga. Mais ils sont respectueux de tout, ils ont la délicatesse, un savoir vivre qui m’inspire, me passionne.

Quel produit préférez-vous travailler ?
J’adore le chocolat. Comme je dis, la pâtisserie est un ensemble de souvenirs d’enfance. J’ai un souvenir de la religieuse au chocolat, je mangeais la tête puis le corps, c’est gourmand. J’associe beaucoup la pâtisserie à la féminité.
Mais surtout, je veux travailler les produits en baissant au maximum le sucre.

Vous vous fournissez où ?
Je prends le lait et la crème en Alsace, le beurre en Charente, le chocolat chez Valrhona et les fruits confits en Italie, par exemple.

LE RAPPORT AU MÉTIER

Que pensez-vous de toutes ces pâtisseries qui s’installent dans la capitale ?
Il y a des pâtissiers stars et c’est bien pour l’artisanat, mais il faut rester les pieds sur terre, on ne fait que des gâteaux.
Beaucoup ouvrent avec des financiers, donc vous n’êtes pas chez vous. Quand on investit un million sur une affaire, il faut y aller, il faut être présent dans son entreprise.

Vous avez un modèle ?
Je me suis positionné sur un marché haut de gamme. Et Pierre Hermé est un modèle pour moi. Deux personnes m’ont marqué professionnellement : Pierre Hermé et Alain Ducasse. Ce sont deux monuments dans la profession mais d’une gentillesse et simplicité.
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Faire partie des références du métier.

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A part ces deux monuments, qui appréciez-vous dans le milieu ?

J’aime beaucoup Christophe Michalak, Fabrice le Bourdat (Blé Sucré) qui est un ami, et Eddie Benghanem.

Une autre boutique, ça ne vous tente pas ?
Ma priorité est d’agrandir ma production car on travaille dans un petit espace. Pierre Hermé me prend pour un martien à chaque fois qu’il vient.
Ensuite, une autre boutique, oui, mais pour ne faire que de la vente. Quand on s’installe, il faut penser au loyer. Les gens pensent que c’est la baraka mais il faut rester lucide. Tout doit être calculé. C’est une vraie gestion.

UN JOUR / UNE ADRESSE

Une pâtisserie
Thoumieux, j’adore leur chausson aux pommes et leurs chouquettes. Jaime les produits simples. Chez Blé sucré aussi.

Une table
Il faut aller chez Tomy & co du chef Tomy Gousset (22 rue Surcouf). Ou sinon chez Monsieur Bleu (au Palais de Tokyo). Chez Blueberry aussi (rue du Sabot), ce sont les meilleurs sushis de Paris. Et pour les pizzas, je vais chez Marzo (rue Paul-Louis Curier).

Une autre passion
La moto. J’ai mon permis depuis un an et demi, j’ai trouvé mon échappatoire. Pas dans Paris, mais quand j’ai besoin de m’échapper je pars sur Fontainebleau et la vallée de Chevreuse. Toujours un moment de liberté et de décompression.

Gâteau préféré
Je les aime toutes mes pâtisseries, mais la religieuse chocolat c’est le classique. De plus en plus, les gens ont besoin de revenir aux fondamentaux. On est jugés là-dessus.

Dernier mot
Pour moi, tous les clients sont des VIPs. La personnalité du chef se reflète dans le produit. Et mon but, c’est de faire partie des références du métier.

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Carl Marletti réalise 80 % de son chiffre d’affaires grâce à sa boutique. En parallèle, il collabore avec certains restaurants comme la Maison Verlet, le restaurant Yeeels ou la Maison Boissier en leur fournissant desserts ou gâteaux de voyage.
Depuis peu, il fournit aussi deux sortes d’éclairs par jour à la boutique Fou de pâtisserie, à savoir un classique et un de saison (en ce moment crémeux coco et gelée de Calamancy). Un volume de 200 à 300 par semaine.

 Carl Marletti, 51 rue Censier, Paris Ve.

2 Commentaires

  1. Quel bel entretien d’un chef si talentueux ! On dévore les lignes aussi vite que les bijoux sucrés de la boutique… Merci pour ce partage.

    1. Merci à toi pour ce retour 🙂

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