Erwan Blanche et Sébastien Bruno (Boulangerie Utopie) : « On fait ça pour s’amuser »

(Crédit photo Marcel Christian – Boulangerie Utopie)
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Erwan Blanche et Sébastien Bruno se sont rencontrés à l’école. Puis, ils ont voyagé et ont décidé de revenir à Paris pour monter un truc ensemble. Entre potes. C’est comme ça qu’est née l’aventure Utopie, devenue depuis quelques années une des meilleures boulangeries de la capitale. Rencontre avec deux passionnés, sans prise de tête, amoureux du fait maison, désormais plus utopistes.
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PARCOURS
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Racontez-moi votre histoire, vos débuts…
On s’est rencontrés sur les bancs de l’école quand on a passé nos diplômes de pâtisserie (BEP et BAC Pro). Après, on a voyagé pendant quasiment dix ans et on s’est retrouvés sur Paris il y a cinq/six ans et on s’est dit que ça pouvait être sympa de monter quelque chose ensemble.

Pourquoi une boulangerie alors ?
On était tous les deux pâtissiers, on avait pensé à une pâtisserie pure, mais on voulait un truc plus cool, un commerce de proximité. Les gens nous parlaient tout le temps de pain, pain, pain. Sur Paris, il était compliqué de trouver un endroit où trouver du bon pain, de la bonne pâtisserie et de la bonne viennoiserie au même endroit à des prix abordables. On s’est dit : on va apprendre à faire du pain. Puis on a trouvé cette petite affaire et on a fait ça pour s’amuser.
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LA BOUTIQUE
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Pourquoi ici, à Oberkampf ?
Cette affaire-là était accessible pour nous financièrement. On est chez nous. On n’a personne derrière. On est à 50-50 et on a construit ça avec le peu de sous qu’on avait de côté. C’était bien tenu, propre, le matériel était bien.

Pas facile comme choix au départ ?
Avec le recul, on se dit qu’il y a le canal Saint-Martin, le Marais, la rue Oberkampf, la place de la République, on est au centre de tout ça.
En boulangerie, à l’époque, il y avait juste Landemaine, la boulangerie qui faisait le coin qui drainait énormément de personnes et Gana, une institution pour les gens dans le quartier.
On avait fait ça pour s’amuser, pour se marrer. Par rapport à où on en est aujourd’hui, on n’aurait jamais imaginé ça.
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Par rapport à où on en est aujourd’hui, on n’aurait jamais imaginé ça
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L’ADN D’UTOPIE
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Pourquoi « Utopie » ?
Quand on disait qu’on allait faire du 100 % fait maison, des produits abordables, les gens se marraient. Ils disaient : ‘Vous ne vous rendez pas compte’, ‘C’est pas possible’. Mais pour l’instant, ça fonctionne.

Comment décririez-vous votre boulangerie ?
Une boulangerie utopique (rires)
Non, on va dire, cool, sympa. Faire les choses simples, mais bien. Et créatives surtout. On est une des boulangeries les plus créatives de Paris. Il y a minimum trois nouveaux produits par semaine, des trucs que l’on ne voit nulle part ailleurs. Ça va vite dans nos têtes.

Quelles sont vos inspirations ?
Nos voyages, la passion qu’on a. On suit énormément de gens, mais dans plein de domaines. On ne suit pas que les pâtissiers ou les boulangers. On va suivre aussi des cuisiniers, des fast foods même. On a aussi ramené plein de trucs d’un peu partout.
Le fait d’être deux, ça joue énormément. Il y a toujours des échanges au niveau de la création, il y a des rebonds. ‘Tiens, je voudrais bien bosser avec ça cette semaine’ et l’autre qui répond du tac au tac : ‘Ah, on pourrait le coupler avec ça’.
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Le flan, un des best-sellers de la maison.

LA GAMME PROPOSÉE
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Quels sont vos produits best-sellers (dans tous les domaines) ?
En pâtisserie, le best-seller annuel reste le flan. On n’arrive jamais à répondre à la demande. On ne peut pas en produire suffisamment par rapport à la demande.
Le flan fait aussi partie des pâtisseries qui remplissent les formules, que l’on va manger sur le pouce, que les gens connaissent. Comme l’éclair au chocolat ou de la tarte citron.
La tarte sésame a dérouté les gens au départ, mais tout ce qu’on faisait au début était tellement décalé d’une proposition conventionnelle, que c’est ça qui a fait le développement que l’on a connu. Maintenant, les gens viennent chercher ces produits décalés, éphémères.
En ce moment, on fait l’éclair fleur de cactus/main de Bouddha. On n’est pas beaucoup à travailler ça. Donc voilà, à part le flan, ce sont le Paris-Brest, la tarte citron, l’éclair sésame et la tarte sésame qui partent le plus vite.

En viennoiserie : le roulé sésame, le chausson aux pommes, les gens l’adorent.
En pain, notre signature, l’authentique, la baguette au charbon, le pain au thé vert. Et en ce moment, le Rouge du Roc, avec du blé de paysan. Il est réalisé avec des variétés anciennes, ce sont des produits d’orfèvrerie. Des produits qui nous éclatent.

En semaine, la gamme salée est énorme. Il y a toujours la queue…
La semaine c’est très important. On reste une boulangerie-pâtisserie, une boutique de quartier donc le snacking fait partie intégrante de l’offre. On va travailler les sandwichs comme on fait nos autres gammes. On sélectionne nos produits et on a quelqu’un qui est dédié à ça.
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LES « RENDEZ-VOUS » ÉPHÉMÈRES CHAQUE WEEK-END
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Vous avez mis en place un rendez-vous de créations chaque week-end. Vous mettez combien de temps à les imaginer ?
Maintenant, on parvient à penser les recettes quinze jours à l’avance. Sinon, de manière générale, on arrive parfois le mardi matin et on se dit : ‘Qu’est-ce qu’on fait ce week-end’.
Avant c’était du tac au tac. Maintenant c’est un peu plus en amont. Parfois on récupère tel produit disponible à tel endroit, et on se dit : ‘Qu’est-ce qu’on pourrait en faire’. D’autres fois on passe devant l’étagère, on se dit : ‘Ah tiens, ça on n’a pas encore joué avec.’

Pourquoi ces créations tous les week-ends ?
Cela permet aux gens de voir autre chose que la proposition de la semaine. Cela permet aussi aux gens de découvrir quelque chose de nouveau, de sympa.
Après, on a une gamme assez courte en pâtisserie. À chaque fois les gens nous disent qu’on n’en a pas passez.
Nous, on veut pouvoir proposer une gamme assez facile à faire la semaine. Du coup, le week-end, on fait des trucs en quantité limitée, on s’éclate avec les décors, etc.
On n’a pas énormément de choses avec des glaçages. On essaye de réfléchir intelligemment.
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UNE ÉMISSION PLEINE DE PROMESSES
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Quel a été l’apport de l’émission « La meilleure boulangerie de France » ? *
C’était en 2016, un peu moins de deux ans après l’ouverture. Ça a apporté du monde clairement, de la visibilité. La télé c’est incomparable. Ça a été crescendo. Après le premier passage, on a vu une première vague arriver, et après chaque passage il y avait une petite vague. Idem après la finale.

* NDLR Utopie a remporté la 4e édition en 2016.

Mais l’effet ne s’est pas estompé ?
Maintenant, depuis plus deux ans, on est en progression constante. Clairement, depuis l’ouverture, on progresse. On a l’impression que plus on en met, plus on en fait, plus les gens sont contents. Après, nous, on a un problème, c’est que c’est une petite structure. Ce n’était pas une boulangerie prévue pour tourner aussi fort et on a des capacités de production qui sont limitées.
C’est pour ça que, chaque jour, les produits que l’on fait ici, on les fait en quantité limitée. On préfère faire moins, mais faire bien. Tout ce qui est vendu est conforme à ce que l’on souhaite nous.
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C’est grâce aux gens du quartier qu’on en est là

LE FONCTIONNEMENT D’UTOPIE

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De combien de personnes est composée l’équipe ?

On oscille entre 20 et 25 entre les temps pleins, etc.

Du coup, vous êtes un peu « limités » en production ?
Au niveau du pain, on refait des fournées, mais ce n’est pas possible pour la pâtisserie ou la viennoiserie. Le matin, on sait qu’on en enverra tant par jour et puis voilà. La capacité de production ne nous permet pas de faire plus, en tout cas dans des conditions qualitatives.

Vos amplitudes horaires, c’est quoi à peu près ?
En présence physique, maintenant ça va mieux. De 5h du matin à 18h le soir, on essaye de ne pas trop déborder. On essaye de prendre aussi une à deux journées de repos par semaine. Notre vie familiale en a pâti depuis cinq ans aussi, il faut que l’on en profite. Il y a le temps physique dans les locaux, mais le téléphone sonne de 4h du mat à 21h le soir.
Mais bon on ne va pas se plaindre, on a des bons problèmes. On est super contents de ce que l’on a réussi à construire. On réussit à faire vivre 25 personnes. C’est une super fierté pour nous. C’est vraiment cool. Et puis, on ouvre tout l’été aussi pour les gens du quartier, parce que c’est grâce à eux qu’on en est là. Même s’il n’y a personne, on a une offre et on répond présent à l’appel.
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LES INGRÉDIENTS / MATIÈRES PREMIÈRES
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Où vous fournissez-vous globalement ?
On travaille avec un petit meunier qui produit exclusivement en Ile-de-France qui s’appelle les Moulins de Chars : ça inclut Chérisy et Brasseuil. Ce sont les premiers qui ont cru en nous, tous les produits sont bons. De toute façon, on ne travaille que des produits bruts ici.

Pour le reste (pâtisserie…) ?
Le charbon végétal est français, le sésame vient du Japon, on l’importe de Kyoto, on le fait venir en très grosse quantité. On a un fournisseur dans tout ce qui est produit japonais qui est spécialisé là-dedans. Nishikidori fait venir tous ses produits de là-bas.

Le chocolat, on se sert chez Valrhona. Il demande beaucoup de travail. On veut faire autre chose, de la pâtisserie, on a déjà trois produits (deux éclairs, finger…).
Pour les moulages, par exemple, comme à Pâques, c’est très compliqué puisque les locaux sont tous petits. On n’a aucune machine. Nos œufs que l’on fait, le chocolat est fait à l’ancienne, on le table, on le marbre, on le maintien nous-mêmes à température. C’est un travail titanesque, donc on en fait à Pâques pour la tradition, mais c’est tout.
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On préfère faire moins, mais faire bien
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L’ENGOUEMENT DE LA PÂTISSERIE (ET AUTOUR)
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Vous vous entendez bien avec qui dans le métier ?
On s’entend bien avec Olivier Haustraete (Boulangerie Bo). Il y en a aussi d’autres, que l’on voit moins : Yann Menguy, Kevin Lacote, Nicolas Haelewyn qu’on voit lui plus régulièrement. On a d’autres potes aussi en dehors de Paris.
On est dedans depuis 20 ans donc on se connaît tous plus ou moins. Même Benoit Castel est top, il est super cool.

Les autres boulangers, vous connaissez un peu à Paris ?
On a très peu de temps pour aller voir ce qui se fait, après on va voir quand même les gens que l’on connaît. Je pense à Mamiche par exemple, Bo&Mie aussi, ils ont une superbe boutique et une très bonne gestion. On a vu l’ouverture des French Bastards, rue Oberkampf, mais on n’a pas eu le temps de goûter.
Ponctuellement, on va voir aussi des gens qu’on connaît pour tester leurs trucs, mais la boutique nous prend tellement de temps depuis cinq ans…

Vous pensez quoi de tout cet engouement autour de la pâtisserie, de la viennoiserie ?
S’il y en a autant, c’est que les gens sont réceptifs. C’est intéressant parce que depuis dix ans en cuisine, cinq ans en pâtisserie ou plus récemment en boulangerie, les gens ont d’autres attentes et un autre œil sur tout ça et cela permet d’élever le niveau. C’est une très bonne chose. Avant, c’était plus mystérieux, maintenant on voit tout, il y a une certaine transparence et ça s’est démocratisé. Nous, on voit l’évolution de tout ce que l’on fait depuis qu’on s’est installés. C’est incroyable et très rare de trouver des petites maisons où tout est fait de manière artisanale.

C’est quand même difficile de trouver du bon pain partout…
Il y a vraiment eu un abus en boulangerie pendant très longtemps. Maintenant, on a l’utilisation des méthodes de fermentation sur le levain, les fermentations longues… c’est inspirant.
Quand jetais en Australie (Erwan), les allergies au gluten ? Je ne savais pas ce que c’était. C’est arrivé en France parce qu’il y a des méthodes de culture ou de panification qui ne vont pas et quand on mélange tout ça, on obtient des produits pas bons pour la santé alors qu’on a un vrai savoir-faire. Les gens viennent du monde entier pour découvrir ce savoir-faire.

Un bon morceau de pain, ce n’est vraiment pas comparable. La législation est bizarrement fichue. Les gens qui font leur viennoiserie, c’est vraiment très rare. Pareil pour ceux qui ne se limitent pas à ouvrir un sac de farine et à le mélanger à de l’eau… Quand on est vraiment passionné par ce métier, que l’on voit certaines choses sur Paris, c’est rigolo… étonnant plutôt.

Vous avez peu de critiques globalement, une satisfaction pour vous ?
Notre objectif ici, ce n’est pas le financier, on est tous les deux artisans, pâtissiers de base, on n’est pas des investisseurs. Ce que l’on fait, c’est ce qui nous plait, ce que l’on aime. Le but est de faire plaisir aux gens.
On est assez perfectionnistes, on aime bien que tout ce qu’on fait soit bien fait. On est derrière les gars, tous les jours à leur dire : ‘Ça, ça va’ ou ‘Ça, ça ne va pas’.
Il s’en dégage une espèce d’ambiance qui fait que, tout ça est cohérent que les gens ressentent la passion et l’amour que l’on met dedans.
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Les deux indétrônables

La Tarte sésame noir.
Le roulé sésame noir.

ET MAINTENANT ?
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À terme, quels sont vos objectifs ?
Survivre à celle-là c’est l’objectif premier. Maintenant, oui on se dit que ça serait peut-être bien d’en ouvrir une deuxième parce qu’avec celle-là, on arrive à saturation, on ne peut pas répondre à toute la demande que l’on a. Mais après, on n’est pas pressés non plus, parce qu’il faut maintenir la même qualité qu’on a ici, cette atmosphère, cet esprit. Il faut bien réfléchir à comment faire les choses et correctement. On peut réfléchir à une autre solution pour avoir un deuxième point de vente et répondre à toute la demande que l’on a ici.

Ici on connaît tous les gens du quartier maintenant. Ils nous disent que le week-end, ils n’arrivent plus à venir chercher leur morceau de pain ou viennoiserie.
On a aussi beaucoup de touristes, à cause de l’emplacement, on est entouré de pas mal d’hôtels. Mais c’est un projet qu’on a en tête et qu’on aimerait bien voir naitre un jour.
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HORS PÂTISSERIE
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Un gâteau
Sébastien : les éclairs.
Erwan : le croissant et le pain au chocolat.

Un lieu dans Paris
Erwan : le pain de Thierry Delabre, mais il n’a pas de boutique physique / sinon Yann Menguy et Kevin Lacote.
Sébastien : Claire Damon.

Une table salée
Erwan : la très grosse claque salée que j’ai prise récemment, c’est l’Escargot, Yannick Tranchant. J’ai dit Waw, incroyable. Au niveau de ses assiettes ou son gars en salle, un bijou vraiment. C’est propre et carré.
Je n’ai qu’une seule hâte, c’est d’avoir le temps d’y retourner.
Sébastien : un truc que j’aime bien en ce moment c’est Melt (viande).

Les deux : plein de petites adresses aussi : le 180, la fille est partie en Bretagne. C’était tout le temps full, un concept japonais. Précis. Ou encore Mokonuts.

Une passion en dehors
Erwan : ma femme et mes enfants et un petit peu de sport quand on a le temps. L’océan aussi une fois par an, c’est la soupape de sécurité. Paris c’est bien, mais j’ai vraiment besoin de nature.
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